Gustave COURBET, Le Désespéré, 1843.
Extrait :
Un homme, à la suite d'une série de maux qui ont fini par le réduire au désespoir, ressent du dégoût pour la vie, tout en restant assez maître de sa raison pour pouvoir se demander à lui-même si ce ne serait pas une violation du devoir envers soi que d'attenter à ses jours. Ce qu'il recherche alors, c'est si la maxime de son action peut bien devenir une loi universelle de la nature. Mais voici sa maxime : par amour de moi-même, je pose en principe d'abréger ma vie, si en la prolongeant j'ai plus de maux à en craindre que de satisfactions à en espérer. La question est donc seulement de savoir si ce principe de l'amour de soi peut devenir une loi universelle de la nature. Mais alors on voit bientôt qu'une nature dont ce serait la loi de détruire la vie même, juste par le sentiment dont la fonction spéciale est de pousser au développement de la vie ; serait en contradiction avec elle-même, et ainsi ne subsisterait pas comme nature ; que cette maxime ne peut donc en aucune façon occuper la place d'une loi universelle de la nature, et qu'elle est en conséquence contraire au principe suprême de tout devoir.
Emmanuel KANT, Fondements de la métaphysique des mœurs, tr. Delbos, Delagrave, Paris, 1989, p. 138-139.
Questions :
1. Kant approfondit ici son analyse de l'exemple du désespéré, qu'il avait déjà examiné dans la première section de son ouvrage et que vous avez travaillé dans un exercice précédent. Il avait montré alors qu'une personne qui conserve sa vie, alors qu'elle a complètement perdu le goût de vivre, le fait nécessairement par devoir, et non par inclination ou par crainte.
a) Que s'agit-il par conséquent de faire ici, en recherchant "si la maxime de son action peut bien devenir une loi universelle de la nature" ?
b) Quelle relation pouvez-vous établir entre le fait qu'il est question ici de la conservation ou la suppression de la vie, et le fait que le critère d'universalisation appliqué est celui d'une "loi universelle de la nature" ?
2. Relevez l'énoncé de la maxime dont l'universalisation est ici tentée.
a) Au nom de quel principe, censé la fonder, est-elle formulée ?
b) Quelle relation pouvez-vous établir entre amour de soi et conservation de la vie ?
c) Quel est, par conséquent, le problème moral qu'il s'agit de résoudre, et que recèle l'exemple ? Relevez-en la formulation dans le texte.
3. Quel est ici l'effet produit par la tentative d'universalisation opérée ?
a) Pourquoi y a-t-il une contradiction entre sentiment et destruction de la vie ?
b) Pourquoi cette contradiction se ramène-t-elle, en dernière instance, à une contradiction de la nature avec elle-même ?
4. Cette contradiction relève-t-elle des conséquences de la conduite envisagée, ou bien est-elle intrinsèque à la maxime qui prétend justifier cette conduite ? Justifiez votre réponse.
5. Quelle conclusion faut-il en déduire ?
Réflexion :
1. Le procédé d'universalisation, appliqué ici, a-t-il pour fonction d'indiquer ce qu'il faut faire pour agir moralement, ou bien ce qu'il ne faut pas faire, de façon à éviter d'agir à l'encontre du devoir ?
2. Quels obstacles s'agit-il ici par conséquent de lever, ou quelles forces adverses s'agit-il de contrecarrer ?
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